Shisei, l’attitude juste

 

Lorsque l’exactitude des deux formes, physique, dite extérieure (shi) et le mental, intérieure (sei), se manifestent, on parle alors d’attitude juste. Shisei s’exprime aussi par la position, la posture, mais au-delà du terme qu’il renvoie, statique, c’est également dans le mouvement qu’on le prend en considération. Plus exactement, c’est par son mental que sa posture se reflète, la forme intérieure est visible de l’extérieur. C’est aussi la droiture et la fermeté de son attitude face à des difficultés de la vie de tous les jours, au-delà de la surface du tatami, une preuve concrète d’une maîtrise de soi. On peut parler à titre d’exemples, de vitalité, de vivacité, de détermination, et pour des pratiquants très expérimentés d’enracinement, de stabilité, d’ancrage lié à son intériorisation.

 

 

À portée de tous

 

Pour un pratiquant débutant, avec quelques conseils avisés de critères techniques et une préparation physique pour « forger le corps », n’importe qui peut adopter une telle posture rapidement. La difficulté réside dans le fait de la maintenir dans le mouvement. Par la persévérance et par le résultat d’un entrainement intensif, les barrières physiques, qui sont les conséquences d’un blocage psychologique, sautent. Par exemple, on remarque facilement l’absence de barrière lorsque les épaules sont décontractées, lorsque la respiration est correctement rythmée, lorsque le mouvement devient moins saccadé parce qu’il n’y a plus l’aspect « réflexion » qu’on peut avoir au début de l’apprentissage. En d’autres termes, après un ou deux ans de pratique, on a commencé à forger le corps, par l’apprentissage de techniques de base, et ainsi l’attitude va suivre. Son shisei n’est pas fixe dans sa pratique martiale : elle évolue.

 

 

Une attitude en évolution par son expérience

 

Le point d’intérêt le plus important pour développer son attitude réside dans le fait que dans son apprentissage martial, il faut passer par les étapes cruciales de désapprendre ce qu’on a appris pour apprendre plus loin. Cela ne veut pas dire qu’il faut désapprendre les principes lorsqu’ils sont acquis, au contraire, ils sont à garder précieusement, mais l’accent va vers de nouveaux principes. En ce sens, on peut parler de désapprendre des critères de placement corporels pour en apprendre de nouveaux afin d’acquérir de nouveaux principes. Pour résumer simplement : les objectifs sont différents. Entre professeurs, on parle souvent de ne pas étaler toute la technicité d’un coup au risque de ne pas permettre l’acquisition des critères techniques, et dans une plus grande mesure, les aptitudes martiales. En d’autres termes pour aider la compréhension, toutes les portes ne sont pas ouvertes en même temps pour découvrir le contenu, mais l’une après l’autre (pour imager le propos, ce ne sont pas des portes côte-à-côte qu’on ouvre d’un coup, mais il faut ouvrir d’abord une porte, et derrière elle, il y en a une autre). Cela peut être mal interprété comme le fait de cacher son savoir, mais il est nécessaire pour le professeur de bien faire comprendre à l’élève qu’il faut d’abord avoir des acquis pour en apprendre d’autres, et en faire la démonstration. Pour les débuts, on peut aussi tout simplement apprendre d’une manière sécurisante pour éviter d’éventuelles blessures. C’est un exemple de première étape d’apprentissage avant de passer à la suite : pratiquer en sécurité et pour son bien-être.

 

 

Étape par étape

 

Dans l’action, le mental est prédominant. Il peut s’apprendre par des critères techniques et par des mises en situation pour le développer. Lorsque le mental est en adéquation avec le contexte, que les critères techniques sont assimilés et que les aptitudes martiales s’apprennent « naturellement », à ce moment le professeur apporte le contenu supplémentaire pour aller plus loin. Un contenu technique différent, en supplément, qui à son tour va développer le physique, le mental, eux aussi différents, et ainsi développer son shisei, son attitude juste. Je vais essayer très (trop ?) brièvement d’en faire une démonstration concrète de ce qu’il se passe au dojo avec un petit point sur l’apprentissage du mawashi-geri, le coup de pied circulaire. Au début on apprend à mettre son avant-bras en bouclier pour que les mains soient relevées pour se protéger. Après quelques années, pour chercher de la hauteur, on se focalise plutôt à avancer en maintenant le bassin en rétroversion avec une contraction de la ceinture abdominale. Si le coude part légèrement vers l’arrière (principe d’hikite, main en retrait) cela ne pose pas de problème dans le sens où l’objectif n’est pas le même. Dans notre progression martiale, on acquiert d’abord le principe de protection, après seulement on va chercher la hauteur (explosivité, souplesse). Après seulement on se réapproprie tous les principes pour les mettre en application. Au final on voit bien que les étapes et les objectifs sont différents et que les critères évoluent dans le temps. À chaque étape, les critères ont évolué, sont modifiés pour atteindre la posture juste pour l’objectif requis. Comment savoir à quel moment passer à l’étape suivante : lorsque le mouvement devient naturel (épaules relâchées, bon équilibre et ancrage, placement par le pivot etc.). Si la consigne de chercher la hauteur avait directement été étudiée avec l’entièreté des consignes techniques, on aurait vu sans aucun doute un bassin en antéversion, fesses en arrière, et l’élève perdre tout son équilibre, et l’empêchant de travailler en puissance. Il n’aurait alors pas sa posture juste. Il n’est pas pensable d’amener ces explications au même moment, ce serait contre-productif.

 

 

Cibler la perfection

 

         L’objectif de l’étude du geste, passant par la bonne attitude, est de tendre vers la perfection. C’est bien d’avoir conscience du principe shisei, d’en avoir la connaissance, mais c’est par la pratique, par le savoir-faire, résultat d’un entrainement assidu, pour forger son corps, permettant de modeler son mental, que l’objectif ciblé sera atteint.  On peut atteindre l’objectif et assimiler la technicité voulue si l’intention est manifestée. C’est par son mental, son état d’esprit, donc la compréhension de l’objectif, que la mécanique corporelle se reflète, et non l’inverse. Cette prise de conscience prend forme après une expérience martiale avec la volonté d’aller plus loin, d’avoir envie d’aller chercher à ouvrir les portes.

 

 

Kévin Lansard

 

Version imprimable | Plan du site
© Evolution Spirit Ecole d'Arts Martiaux - La Tronche - contact@evolution-spirit.com - 06 10 72 92 30